Le chef de l’État a décliné hier un programme visant, dans les neuf prochains mois, à remettre en cause des garanties fondamentales du droit du travail et de la protection sociale.
« Osez l’innovation sociale ! » lançait hier, à l’adresse notamment des syndicats, Nicolas Sarkozy en conclusion d’un discours « stratégique » de politique sociale. Une fois encore il a voulu prouver son talent de communicateur, son aptitude à habiller de mots séducteurs, d’intentions positives (ne pas « passer en force », ni rester « immobile »), des choix et des orientations redoutablement dangereuses. En fait d’« innovation », le programme décliné par le chef de l’État devant l’Association des journalistes de l’information sociale s’apparente à la mise en marche d’une machine à rétrograder. Retraites, temps de travail, chômage, contrat de travail, assurance maladie : dans tous les domaines passés en revue, cap est mis, en effet, sur la destruction de garanties, de protections durement acquises par le monde du travail, à même aujourd’hui encore, malgré les érosions subies dans les années écoulées, de limiter les incessantes pressions antisociales du capital (mot, soit dit en passant, totalement absent du speech présidentiel hier).
Les 35 heures dans le collimateur
Pour justifier son offensive, Nicolas Sarkozy a, d’emblée, repris une thèse ressassée depuis des années : si la France va socialement mal, si le travail est maltraité, la faute n’en revient pas à ces dirigeants d’entreprise, ces financiers tout-puissants qui piétinent quotidiennement ces valeurs au pied, les reléguant au rang de vulgaires variables d’ajustement dans la quête de profits, mais… au « système social ». Le chef de l’État a, dit-il, « la certitude » que ce système « n’est plus tenable financièrement », « décourage le travail », « n’assure pas l’égalité des chances ». Premier ennemi désigné, une fois de plus : les 35 heures. Après la détaxation des heures supplémentaires, il s’agit d’« aller plus loin » dans « l’assouplissement ». Les patrons devraient avoir plus de liberté, via les négociations d’entreprise et de branche, pour se soustraire à la législation sur le temps de travail. Les salariés, eux, gagneraient le « choix » d’échanger du temps libre contre l’augmentation de salaire, le plus souvent au régime sec…
Autre motif de satisfaction, de taille, pour le MEDEF : l’annonce de la fin des mécanismes de revalorisation du SMIC (indexé sur les prix et sur l’évolution de l’ensemble des salaires), conquis en 1968, assurant que les 2,5 millions de travailleurs payés au minimum bénéficient des fruits du progrès économique. Comme le souhaitait l’organisation patronale, il reviendra à une « commission indépendante » de faire des propositions dont le gouvernement pourra s’inspirer… Au chapitre du pouvoir d’achat, une seule annonce va, timidement, au-devant de revendications salariales : le chef de l’État envisage de moduler les allégements de charges pour les entreprises « qui refuseraient de négocier » sur les rémunérations.
Comblés, Laurence Parisot et ses amis le sont aussi au sujet du marché du travail avec la demande adressée à la ministre de l’Économie de mener tambour battant (Sarkozy réclame « des propositions dans les quinze jours ») la fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC, la volonté de décider « avant la fin de l’année » de sanctions contre les demandeurs d’emploi osant refuser deux offres dites « valables ». De même, les « partenaires sociaux » sont-ils sommés de parvenir, dans le même délai, à « réformer » le contrat de travail, dans un sens clairement préétabli puisqu’il s’agit notamment, selon l’hôte de l’Élysée, d’assouplir la réglementation du licenciement par la « rupture négociée », la limitation du champ d’intervention de la justice…
Aller vite, frapper fort, la consigne s’applique aussi aux régimes spéciaux de retraite. Prétendant, à l’encontre de nombre d’études et de témoignages, que la pénibilité du travail avait diminué pour tous les salariés concernés, le président ordonne au ministre du Travail de mener, à compter d’aujourd’hui et en quinze jours, une concertation devant déboucher sur les principes d’une « harmonisation » avec le régime de la fonction publique, qui devraient ensuite guider des négociations d’entreprise. Soit la promesse d’une remise en cause d’acquis, pour des centaines de milliers de salariés, en matière de durée de cotisation, d’indexation des pensions, etc. S’agissant de la réforme du régime général des salariés du privé, un peu plus de temps serait laissé à la concertation (fin du premier semestre 2008), mais dans une optique non moins austère. L’allongement à quarante et un ans de la durée de cotisation est considéré comme inéluctable. Et si le chef de l’État a relevé que le financement des retraites était en tête des soucis des Français, il n’a pas fait la moindre proposition sur le sujet. La baisse du niveau des pensions, programmée par la réforme Fillon de 2003, va donc se poursuivre, sauf, promet-il, pour les « petites pensions », et pour tous les retraités qui voudront profiter des possibilités élargies de cumuler emploi et retraite.
les franchises mÉdicales pour 2008
Pour l’assurance maladie enfin, la potion sarkozyenne est encore plus brutale. Le président déclare « ouvrir un grand débat sur le financement de la santé », dont les conclusions seraient tirées au premier semestre 2008. En vérité, pour une part, les décisions sont déjà prises : le président a ainsi confirmé son intention de faire adopter, lors du prochain budget Sécu, son projet de franchises médicales, malgré l’opposition majoritaire qu’il suscite ; il réclame aussi plus de pressions sur les dépenses pour les affections de longue durée (ALD, couvertes à 100 %) et demande que le financement des hôpitaux se fasse intégralement sous le régime de la tarification à l’activité (T2A), système traitant les établissements de santé comme de simples entreprises. Pour le reste, il a fortement cadré une possible réforme de l’assurance maladie en plaidant, à mots à peine couverts, pour une restriction du champ de la solidarité nationale, et une extension de celui de la « responsabilité individuelle », autrement dit (pour ceux qui en ont les moyens) des assurances privées. Pour répondre au défi de la dépendance, il propose, pour une part, de s’en remettre à « l’assurance individuelle », avec des « produits financiers innovants ». Un choix profondément inégalitaire. Et s’il appelle bien de ses voeux un « cinquième risque » de la Sécurité sociale, il estime que ses bénéficiaires devraient être mis à contribution sous la forme d’une récupération sur leur patrimoine. Pour la maladie, la dépendance, comme pour la retraite, cette « stratégie » sarkozyenne en matière sociale répond donc à l’exigence numéro un du MEDEF, réitérée hier matin par sa patronne : non à toute « augmentation du niveau des prélèvements » sur les entreprises. Au total, et en dépit d’assurances répétées qu’il respecterait la « concertation » avec les syndicats, le discours d’hier prend, à maints égards, la dimension d’une déclaration de guerre contre le monde du travail.
Yves Housson
L'humanité.